La santé mentale des salariés : quelle responsabilité pour l’employeur ? 2/2

5 juillet 2017

L’employeur est tenu de rappeler au salarié qu’il est, lui aussi, responsable de sa propre santé et sécurité

La loi conforte la place des salariés comme titulaires de droits, mais aussi comme acteurs de la prévention dans les entreprises : il est nécessaire de leur donner, ainsi qu’à leurs représentants, une place plus importante, et l’objet de la loi est précisément d’étendre et de renforcer la capacité d’action des salariés eux-mêmes. Il s’agit de faire tenir à chacun un rôle actif, car chacun a sa propre connaissance des risques, de leurs causes et de la façon de les prévenir ». À ce titre, la jurisprudence accepte la sanction d’un salarié qui ne respecte pas les consignes de sécurité, comme le refus réitéré de porter les équipements de protection individuelle (Cass. soc., 19 juin 2013, no 12-14.246). L’employeur qui ne sanctionne pas ce salarié serait lui-même fautif pour avoir laissé persister une situation à haut risque. Il en est de même du salarié très (trop) impliqué qui ne compte plus ses heures et brouille temps de travail et temps de repos.

Il est vrai que, dans ces situations, la hiérarchie a parfois des difficultés à faire des rappels à la raison de peur de démotiver, et la sanction est encore moins envisageable. L’employeur est toutefois tenu, a minima, de rappeler au salarié qu’il est, lui aussi, responsable de sa propre santé et sécurité. Pour apprécier la gravité du comportement fautif du salarié les magistrats tiennent compte de ses fonctions, du cadre de travail ou des circonstances personnelles dans lesquelles se trouve le salarié. Il a ainsi été jugé que ne repose pas sur une faute grave, mais sur une cause réelle et sérieuse, le licenciement d’un manager fondé sur des agissements de harcèlement moral, dès lors que ce salarié était lui-même victime de harcèlement moral et que l’employeur, alerté à plusieurs reprises sur cette situation, ne l’avait pas sensibilisé à la difficulté d’exercice de ses fonctions (Cass. soc., 29 janv. 2013, n° 11-23.944). Il a également été jugé qu’était justifié le licenciement d’un chef d’équipe qui n’avait pas informé sa hiérarchie du comportement d’une employée qu’il savait dangereux pour les salariés (CA Reims, ch. soc., 4 avr. 2007, n° 04/01403).

Une tâche immense pour l’employeur

La tâche reste, toutefois, immense pour l’employeur malgré ce qui semble être un assouplissement de la Cour de cassation, ces récentes années. Jusqu’à présent, elle considérait, en effet, que les mesures prises par l’employeur pour éviter la dégradation de l’état de santé de son salarié en raison de l’exercice de son activité professionnelle ne pouvaient pas exclure sa responsabilité. S’agissant d’un salarié d’une compagnie aérienne pris d’une crise de panique qu’il attribuait, cinq années après, aux attentats du 11 septembre 2001, la Cour de cassation a jugé que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail » (Cass. soc., 2 nov. 2015, n° 14-24.444). La Cour de cassation a étendu cette logique aux situations de harcèlement moral (Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702).

La note explicative qui accompagne l’arrêt précise, toutefois, que « la seule circonstance qu’il [l’employeur] a pris toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement moral et qu’il l’a fait cesser effectivement, circonstance nécessaire, n’est pas suffisante. Il importe également qu’il ait pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et notamment qu’il ait mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral ». L’employeur peut donc s’exonérer de sa responsabilité en cas de survenance d’un risque psychosocial, que le facteur déclenchant soit externe, comme dans le cas de la compagnie aérienne, ou interne à l’entreprise, comme dans le cas du harcèlement moral. Il doit, toutefois, être observé qu’il a mis en œuvre, au préalable, toutes les mesures de prévention de ces risques, qui peuvent concerner aussi bien son organisation, ses méthodes et habitudes de travail, ses pratiques managériales, ses outils R.H. en prenant en compte la sensibilité de chaque salarié, variable dans le temps. Dans son dossier 2017 sur les risques psycho-sociaux, l’INRS met en avant six catégories de facteurs de risque. L’intensité et le temps de travail renvoient aux notions d’« exigences psychologiques » et d’« efforts » et, plus largement, aux contraintes de rythme, d’existence d’objectifs irréalistes ou flous, d’exigence de polyvalence non-maîtrisée, ou encore d’instructions contradictoires.

Les exigences émotionnelles font référence à la nécessité de maîtriser et façonner ses propres émotions.

Les exigences émotionnelles font référence à la nécessité de maîtriser et façonner ses propres émotions. L’autonomie au travail désigne la possibilité d’être acteur dans son travail et le « job strain », déséquilibre entre de fortes exigences et un manque d’autonomie est identifié comme un risque significatif. Les rapports sociaux au travail ont également été étudiés, notamment au travers du « soutien social », de « l’équilibre efforts-récompenses », et de la « justice organisationnelle » (équité dans la distribution des ressources et des avantages, au regard des efforts accomplis et en comparaison avec ce que donnent et reçoivent les collègues occupant un poste similaire). Ils incluent les relations avec les collègues ou avec la hiérarchie, les perspectives de carrière, l’adéquation de la tâche à la personne, les procédures d’évaluation du travail, l’attention portée au bien-être des salariés. Dans le prolongement, le modèle du « déséquilibre efforts-récompenses », de Siegrist, révèle qu’une combinaison d’efforts élevés et de faibles récompenses, s’accompagne de réactions sur le plan émotionnel et physiologique potentiellement délétères.

Les conflits de valeurs renvoient à l’ensemble des con its intrapsychiques consécutifs à la distorsion entre ce qui est exigé au travail et les valeurs professionnelles, sociales ou personnelles des salariés. En n, l’insécurité de la situation de travail comprend à la fois l’insécurité socio-économique (peur de perdre son emploi, non-maintien du niveau de salaire, contrat de travail précaire) et le risque de changement non-maîtrisé de la tâche et des conditions de travail (restructurations, incertitude sur l’avenir de son métier). Est en cause l’essence même du travail, de l’organisation, des relations hiérarchiques, des relations entre collègues, des outils de travail, du système de reconnaissance et de tout le dispositif R.H. Au-delà du stress, les dysfonctionnements peuvent se traduire par des pathologies lourdes comme le burn out, lié à une suractivité le bore-out lié à une sous-activité ou, maintenant, le brown out révélant une perte de sens.

Le contrôle unilatéral par l’employeur de l’adéquation de tout son dispositif à chaque salarié et à chaque instant reste impossible. La solution est dans l’évolution de la qualité de la relation de travail et dans le processus de sa régulation. Une situation qui nous a été rapportée récemment est éclairante à ce sujet. Cette stagiaire qui effectue son stage professionnalisant de master 2 en psychologie demande à sa responsable de stage l’autorisation d’inverser une journée d’absence et de présence pour accueillir un proche vivant à l’étranger, qu’elle voit peu de temps, deux fois par an. Sa responsable, psychologue, lui répond qu’elle lui laisse la décision, lui rappelant qu’il était prévu qu’elle assiste en observatrice à un entretien avec un patient. Elle lui reproche plus tard d’avoir choisi de s’absenter. La stagiaire avait pris la décision sur la situation réelle (sa présence n’était pas utile au patient lors de l’entretien et elle pourrait assister à d’autres entretiens), alors que sa responsable attendait une décision sur une situation projetée. Elle a, en effet, expliqué qu’elle voulait faire prendre conscience que le choix professionnel pouvait primer sur une activité personnelle. Ce non-dit a créé une incompréhension et une souffrance. Il a été à l’origine d’une perception particulière d’une certaine rareté des observations positives, de corrections de comptes rendus sans explications et en apparence tatillonnes, d’une insécurité sur les journées de présence, voire sur la durée du stage. Au final, la relation de travail s’est inscrite dans la définition du harcèlement moral.

Relation sincère de travail : pilier de la prévention des risques

Une relation de travail sincère est nécessaire à la prévention des risques psychosociaux et à la prise en compte de la santé mentale des salariés. Elle doit imprégner l’ensemble de la chaine managériale et les relations transverses. La qualité de vie au travail peut être une clé d’entrée efficace. Dans la note de La Fabrique de l’industrie intitulée La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité, (Presse des Mines, 2016), les auteurs démontrent, exemples à l’appui, comment la qualité de vie au travail, et particulièrement la qualité des relations professionnelles, impacte la performance économique de l’entreprise. Dans la préface de cette étude très complète, Jean Dominique Senard, président de la gérance du groupe Michelin retient en particulier que les auteurs « nous invitent à considérer la qualité de vie au travail non comme un ensemble de remèdes à des maux que pourraient générer nos organisations, mais comme une démarche globale visant à éviter que ces maux apparaissent et, au-delà, à créer les conditions pour que la personne puisse se développer dans toutes ses dimensions ; puisse se développer et non être développée, car placer la personne en situation de faire ses choix elle-même est une condition fondamentale du respect de sa dignité. Croire qu’il est possible de susciter un engagement durable sans cela est une illusion ». L’investissement dans la qualité de vie au travail, et particulièrement dans la relation de travail, ressort comme un investissement productif qui peut être une réponse majeure à la responsabilité juridique de l’employeur en matière de risque psychosocial.

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