Le pouvoir disciplinaire de l’employeur (1/2)

28 novembre 2017

Prérogative anachronique ?

L’exercice du pouvoir disciplinaire est délicat et parfois lourd de conséquences, qu’il s’agisse de contentieux ou de tensions sociales qui, au-delà de leur coût économique, ont souvent un coût social important. Seule une réelle politique disciplinaire, à la finalité claire et partagée, peut contribuer au bon fonctionnement de l’entreprise, quel que soit son modèle managérial.

Le lien de subordination, qui détermine l’existence d’un contrat de travail, se caractérise par « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné »1. Pour déterminer si la relation de travail observée s’inscrit dans un lien de subordination, les magistrats vont apprécier le risque économique, les conditions matérielles d’exécution du travail et l’autorité réelle de l’employeur. Le risque économique consiste d’une part à assumer les différents frais et charges relatifs à l’exercice de l’activité et les pertes en cas d’activité insuffisante ou d’impayé et, d’autre part, à récolter les profits que peut générer l’activité. En application de ce critère ont été considérés comme relevant du statut de salarié, parce qu’ils n’assumaient aucun risque économique, le chirurgien-dentiste effectuant un remplacement d’un confrère moyennant une rémunération non proportionnelle aux honoraires perçus, le pharmacien remplaçant un confrère percevant une rémunération forfaitaire, ou encore des mandataires qui « n’assumaient aucun risque économique, leur activité étant contrôlée selon un échéancier de surveillance, les titres de paiement étant encaissés par la société » 2 . Assumant le risque économique l’employeur peut légitimement déterminer les conditions matérielles d’exécution du travail qui lui apparaissent les plus pertinentes. Il peut s’agir du lieu de travail, la durée du travail et les horaires, l’organisation, les procédures et les outils de travail. Ces restrictions de la liberté de l’intervenant constituent un deuxième critère de l’existence d’un lien de subordination qui a amené les magistrats à juger que relevaient du régime général de la sécurité sociale un professeur de tennis dispensant des cours selon des horaires fixés par le club, un sportif professionnel contraint de répondre à toute convocation de l’employeur ou un chauffeur qui, bien que propriétaire de son camion, est astreint à respecter le règlement édicté par la société avec laquelle il a passé contrat, qui dispose de pouvoirs étendus sur l’accomplissement du travail de l’intéressé3. Ce dernier exemple rejoint le troisième critère apprécié par les magistrats qui vérifient si le donneur d’ordres exerce une réelle autorité sur l’intervenant. Il a ainsi été jugé que relevait d’un contrat de travail la relation de travail concernant les collaborateurs d’un cabinet d’expertise en automobile qui n’ont pas le choix de leurs clients, ni de leurs expertises et exercent leurs missions sous l’autorité, le contrôle et selon les instructions du responsable du cabinet, ou celle concernant des poseurs d’affiches occasionnels pour une société qui déterminait unilatéralement les conditions de travail, dont la rémunération était fixée par celle-ci et qui travaillaient selon les directives générales imposées quant au nombre d’affiches à poser et la périodicité des distributions, ou encore celle de « mandataires » qui intervenaient à partir d’un dossier technique constitué par la société, leur activité étant contrôlée selon un échéancier de surveillance et la société disposant à leur égard d’un pouvoir de sanction « consistant à décider de ne plus confier de mission », ou enfin celle concernant des agents commerciaux qui travaillaient exclusivement pour une société, devant fournir des rapports d’activités hebdomadaires, apporter leur concours à toutes les enquêtes, visites et prospections que la société décidait d’organiser, et respecter les tarifs fixés par celle-ci qui, en outre, déterminait le barème permettant de calculer leurs commissions mensuelles4 .

La loi attribue à l’employeur un pouvoir disciplinaire en contrepartie du risque économique qu’il assume.

La loi attribue à l’employeur un pouvoir disciplinaire en contrepartie du risque économique qu’il assume. Toutefois, l’article L. 1331-1 du Code du travail est rédigé comme suit « Constitue une sanction toute mesure non verbale prise par l’employeur à la suite d’un agissement considéré par lui comme fautif ». Le code du travail pose ainsi le principe du pouvoir disciplinaire mais sans définir ce que recouvre la notion d’« agissement fautif » qui est laissé à l’appréciation de l’employeur, qui n’est autre que celui qui exerce le pouvoir disciplinaire. L’employeur est par conséquent autorisé à sanctionner le salarié mais sans repère quant à la cause de cette sanction, sans pouvoir s’appuyer sur une définition de la faute. Le domaine d’intervention du pouvoir disciplinaire est toutefois très étendu. Le contrat de travail devant être exécuté « de bonne foi » comme toute convention (C. civ., art. 1104), le salarié est tenu à une obligation de loyauté qui lui interdit de se livrer à des agissements préjudiciables aux intérêts de l’entreprise. À ce titre il est notamment tenu à des obligations de fidélité et de discrétion. Il est donc légitime de sanctionner un salarié qui ne respecter pas cette obligation de bonne foi. Intégré à une collectivité, le salarié a un devoir de correction aussi bien vis-à-vis de ses collègues que de sa hiérarchie. Sont par conséquent punissables les actes de violence physique ou verbale. Au-delà, l’article L. 4122-1 du Code du travail fait peser sur le salarié une obligation de veiller à sa propre sécurité et à celle de ses collègues. Tout comportement contraire à cette prescription générale de sécurité sera constitutif d’une faute.

Le salarié s’engage à exécuter la prestation de travail convenue

Par ailleurs, ayant accepté le lien de subordination juridique à l’égard de l’entreprise, le salarié s’engage à exécuter la prestation de travail convenue, dans le respect des directives de l’employeur et des contraintes qu’imposent son appartenance à une structure organisée et son intégration à une collectivité de travail. Il est légitime que l’employeur sanctionne un salarié qui ne respecte pas cet engagement qui caractérise le contrat de travail. Sera donc passible d’une sanction le non-respect des horaires de travail définis par l’employeur ou de la durée du travail fixée au contrat de travail, le refus d’effectuer des heures supplémentaires, et d’une manière générale les obligations issues du règlement intérieur. Il en sera de même du refus d’un salarié d’exécuter les tâches entrant dans son emploi et sa qualification, ou du refus de l’exécution de nouvelles tâches en rapport avec sa qualification5, qui s’analyse en un simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l’employeur6, pour lequel salarié ne peut subordonner son acceptation à une augmentation de salaire7.

Le champ du pouvoir disciplinaire de l’employeur ressort très étendu.

Le champ du pouvoir disciplinaire de l’employeur ressort très étendu, mais ce dernier doit veiller à écarter toute appréciation subjective. Il en découle que la perte de confiance ne peut jamais constituer en tant que telle une cause de licenciement, même quand elle repose sur des éléments objectifs. Seuls ces éléments objectifs peuvent le cas échéant constituer une cause de licenciement, mais non la perte de confiance qui a pu en résulter8. Dans la même veine, l’incompatibilité d’humeur avec la hiérarchie ou entre collègues, ou les « difficultés relationnelles » ne peuvent constituer en elles-mêmes une cause réelle et sérieuse de licenciement9. Seule la perturbation subie par le personnel et la clientèle10 est fautive, étant précisé qu’en présence d’un conflit entre des salariés, susceptible de nuire à la marche du service, l’employeur est seul juge du choix du salarié à licencier11 . Au final, le pouvoir disciplinaire vise à protéger l’organisation et les outils mis en place par l’employeur pour gérer au mieux le risque économique qui lui incombe. Il vise aussi à protéger la communauté qu’il a constituée autour de lui, qui doit pouvoir exécuter ses prestations en sécurité et en sérénité, par la préservation d’une certaine intelligence sociale. Il a enfin pour finalité de contraindre le salarié à respecter ses engagements contractuels et à réaliser la prestation pour laquelle il a rejoint l’entreprise.

Le salarié n’est pas soumis à un pouvoir sans limite

L’employeur peut recourir au pouvoir disciplinaire dans un champ dont l’étendue détermine la force du lien de subordination. Pour autant le salarié n’est pas soumis à un pouvoir sans limite. Il a ainsi été jugé qu’il appartient au salarié « de refuser de s’associer aux agissements commis au détriment de l’entreprise par un supérieur, même s’il en reçoit l’ordre de celui-ci »12. Le salarié dispose par conséquent d’une liberté d’appréciation sur l’obligation d’appliquer des consignes données par son employeur bien que les activités qui en découlent relèvent de sa qualification. Il dispose également d’une liberté d’appréciation du comportement de son employeur et ne peut être sanctionné pour avoir dénoncé des faits qui lui apparaissent répréhensibles. La loi 2016-1691 définit le lanceur d’alerte comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ». L’ article L. 1132-3-3 du Code du travail qui organise la protection du lanceur d’alerte précise que :« (…) aucun salarié ne peut être sanctionné (…) pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».

Le pouvoir disciplinaire de l’employeur est également limité par les libertés individuelles et collectives de ses salariés.

e pouvoir disciplinaire de l’employeur est également limité par les libertés individuelles et collectives de ses salariés. D’une manière générale le salarié est libre de ses activités au titre de sa vie personnelle et une sanction n’est envisageable, compte tenu de la nature de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, que si le comportement est de nature à créer un trouble caractérisé au sein de l’entreprise13. Il a ainsi été jugé que ne constituait pas une faute pour une secrétaire médicale la poursuite d’une activité de « voyante tarologue », malgré la demande de son employeur d’y mettre en terme, en raison de son accès à des dossiers confidentiels14. Quand bien même le comportement du salarié au titre de sa vie privée l’empêcherait de réaliser sa prestation, comme le retrait d’un permis de conduire nécessaire à ses missions, il ne pourrait pas faire l’objet d’une mesure disciplinaire, mais d’un licenciement pour cause personnelle15. Il ressort que le pouvoir disciplinaire ne peut pas être utilisé pour amener le salarié à ajuster sa vie privée aux exigences de l’entreprise aussi fondées soient-elles. Au final, le comportement d’un salarié en dehors de ses horaires de travail ne peut justifier une sanction disciplinaire que s’il constitue un manquement à une obligation découlant du contrat de travail16.

Lire la suite