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RH, RSE et PACTE, vers une nouvelle donne ? 2/2

9 janvier 2020

Droit social et RSE

C’est pour autant une fausse vision. Droit social et RSE sont intimement liés, voire consubstantiels et l’approche globale, systémique, stratégique, du droit social est indispensable pour inscrire la politique RH dans les évolutions sociales et l’intérêt de l’entreprise. Elle est tout aussi obligatoire que la connaissance des implications à court terme d’un mécanisme juridique. Un premier angle de vue amène à constater que le droit social impose à l’entreprise de prendre en compte, voire prendre en charge des enjeux sociétaux. A titre d’exemple, l’entreprise devait assurer l’égalité de traitement entre ses salariés, puis a été amenée à effacer les déséquilibres qui créaient une inégalité de chances. En effet, dans certains cas, il est possible d’opérer des différences de traitement au seul bénéfice d’une catégorie particulière de salariés, soit pour des raisons d’intérêt général, soit pour corriger une situation de fait qui leur est défavorable (C. trav., art. L. 1133-2 et s.). Les applications sont nombreuses pour prendre en compte l’état de santé et les situations de handicap, ou en matière de protection des jeunes et des travailleurs âgés. Il s’agit de faciliter directement l’embauche ou le maintien dans l’emploi. Toutefois, en application des mêmes textes, il a été jugé en 2017 (Cass. soc., 12 juill. 2017, no 15-26.262) qu’un accord d’entreprise peut prévoir au seul bénéfice des salariés de sexe féminin une demi-journée de repos à l’occasion de la journée internationale de la femme, dès lors que cette mesure vise à établir l’égalité des chances entre les hommes et les femmes en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes ». Il est ainsi considéré que, si la journée du 8 mars dépasse largement le périmètre du travail des femmes dans les entreprises, elle le concerne aussi très directement. Les manifestations permettent de susciter une réflexion sur la situation spécifique des femmes au travail et sur les moyens de l’améliorer. Il existe dès lors un lien entre cette journée et les conditions de travail. Il ne s’agit plus de lever les freins qui pèsent directement sur une embauche, ou un maintien dans l’emploi, une promotion, une formation, mais de participer à un changement culturel de la société civile. Les modalités de calcul et le barème des indicateurs de l’égalité entre les femmes et les hommes en entreprise qui sont détaillés par le décret n°2019-15 du 8 janvier 2019 s’inscrivent dans cette logique. Les dispositions relatives à l’emploi des seniors et aux équilibres intergénérationnels ont été un autre exemple de cette prise en charge par l’entreprise de sujets qui dépassent son intérêt direct. Il en est de même des réformes successives portant sur la formation professionnelle. Les lois du 24 novembre 2009 et du 5 mars 2014 ont marqué une étape importante de la consécration de la responsabilité de l’employeur en matière de formation, en formalisant son obligation d’adapter les salariés à leur poste de travail, de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi et de proposer des formations participant au développement des compétences (C. trav., art. L. 6321-1). C’est dans ce cadre que sont mis en place l’entretien professionnel, l’obligation de qualifier et d’évaluer les résultats obtenus à l’issue d’une action de formation (C. trav., art. L. 6353-1), et le compte personnel de formation. La dernière réforme vise plus clairement à créer les conditions de l’ajustement individuel, volontaire et interactif, mais sous l’impulsion et le financement de l’entreprise, aux transformations des métiers, des savoirs, et des relations professionnelles, qui résulteront du défi technologique. Ainsi la loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a profondément changé le paysage de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Elle modifie également à la fois la gouvernance du système et l’interaction des acteurs entre eux.

L’évaluation du salarié

Un autre angle de vue permet d’observer que le droit social incite, et contraint, à considérer le salarié comme une partie prenante de l’entreprise. Bien qu’il soit légitiment reconnu à l’employeur, puisqu’il assume le risque économique, de pouvoir donner ordres et directives et de sanctionner les manquements, le lien de subordination n’organise pas pour autant la soumission du salarié à son employeur ou ses représentants. Il est à noter d’ailleurs que l’employeur qui s’appui sur le déséquilibre économique pour soumettre la volonté du salarié est passible d’une sanction pénale (article 225-14 du code pénal). D’une manière générale, toute tentative de soumission de la volonté du salarié est sanctionnée. Le harcèlement moral est un délit. Ainsi, le fait de tenter de soumettre la volonté d’un salarié, tout en respectant des conditions de travail en apparence dignes, est un délit, quel que soit le procédé utilisé, qu’il s’agisse d’agressions verbales répétées, ou de menaces lancinantes, intimidations physiques et verbales, de la multiplication d’avertissements ou encore de tenter d’isoler la salarié. En amont, une abondante jurisprudence fait application de l’article L 1121-1 du Code du travail qui pose le principe de proportionnalité selon lequel « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché », c’est-à-dire à l’intérêt économique dont l’employeur supporte le risque. Pour préciser cet équilibre sont mis à contribution le Conseil Constitutionnel et les instances judiciaires nationales et européennes. Il peut s’agir de sujet aussi diversifiés que la liberté d’expression, de circuler, vestimentaire, de port de signes religieux, politiques ou philosophiques visibles, de l’interruption d’un temps de repos ou encore du droit à l’image. Par ailleurs, dans le cadre d’une relation contractuelle responsable, le salarié doit recevoir une information complète pour apprécier sa situation personnelle. Dans le prolongement, les textes prévoient que le salarié doit être expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles. En application de l’article L 1222-3 du code du travail qui précise que les méthodes et techniques d’évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie, le système d’évaluation ne peut pas avoir pour objet ou pour effet d’évaluer le salarié, directement ou indirectement. Ce serait porter atteinte à sa dignité ou à ses libertés individuelles. A l’inverse l’évaluation peut être centrée sur la prestation rendue par le salarié. Toutefois, quelle que soit la méthode d’évaluation choisie, il est impératif de s’assurer qu’elle ne soit pas être une source de stress, et encore moins ne caractérise pas un risque psychosocial. La surveillance des magistrats est étroite et certaines méthodes, qui nécessitent une vigilance particulière de la part de l’employeur, font l’objet d’hésitations. Concernant le « benchmark », par exemple, les magistrats ont considéré dans un premier temps qu’il compromettait gravement la santé des salariés en raison de l’absence de définition précise des objectifs, alors qu’au final la Cour d’Appel a retenu que c’était l’application qui en était faite par l’employeur qui pouvait conduire à affecter la santé des salariés. Ont également pu apparaître présenter un risque pour la santé des salariés un système d’évaluation qui ne comporte comme objectif celui de faire mieux que les autres, qui créait un état de stress permanent notamment parce que la comparaison entre collègues déterminait le montant de la rémunération variable. Ce système a été validé par la suite, une fois que les salariés n’avaient plus accès aux résultats de leurs collègues, n’étaient plus comparés au meilleur de leurs collègues mais à la médiane. Il a également été considéré qu’un système d’évaluation qui fait passer la performance avant la satisfaction de la clientèle était abusif. La question se pose aussi pour l’évaluation à 360 degrés faite de manière anonyme par l’encadrement, mais également par les collègues, voire les clients de l’entreprise, ou les fournisseurs, qui soummet le salarié à des jugements auxquels il ne peut pas apporter de réponse. Le « ranking » a également fait l’objet de débats. A été jugé illicite le ranking forcé ou ranking par quota qui impose à l’évaluateur de classer les salariés dans un nombre prédéfini de groupes, selon des pourcentages prédéterminés et non des critères objectifs de compétences. A l’inverse, a été validé le ranking, sans quota obligatoire, qui ne s’inscrit pas dans une logique disciplinaire mais dans une optique d’adaptation permanente du personnel aux exigences de l’entreprise notamment par de la formation. Bien d’autres dispositions pourraient être citées, comme par exemple celles concernant la discrimination ou la pénibilité et la santé au travail, qui visent également à contraindre l’entreprise à prendre en compte son personnel comme une partie prenante à part entière. Certaines sont incitatives, comme les dispositions sur la participation des salariés aux fruits de l’expansion et sur l’intéressement, qui ont l’ambition de faciliter l’engagement des salariés dans la performance de l’entreprise, que les critère de performance soient purement économiques ou intègrent (pour l’intéressement) une dimension plus large. Enfin, les réformes successives de la représentation du personnel, et la très abondante jurisprudence qui les a précédées, ont créé une lourde responsabilité à charge des partenaires sociaux, qu’il s’agisse de la direction des entreprises ou des représentants du personnel. A l’exception de très rares sujets réservés aux accords de branche, il est dorénavant possible par accord d’entreprise de définir l’essentiel du statut collectif des salariés, dans un sens moins favorable que les normes supérieures et que le contrat de travail pour la rémunération comme pour le temps de travail. S’agissant des quelques sujets réservés à l’accord de branche l’article L 2253-1 du code du travail précise toutefois qu’il peut y être dérogé par accord d’entreprise sous réserve qu’il apporte des garanties au moins équivalentes à l’ensemble des garanties se rapportant au même objet. Il y a là une porte largement ouverte à des adaptations dans l’entreprise avec une grande difficulté de comparaison du niveau de garanties. Dans ce nouvel espace de liberté, une relation antagoniste, rythmée par le rapport de force, serait destructrice pour l’entreprise, les salariés, et l’économie de la nation. Ces textes supposent une utilisation raisonnée qui s’inscrit dans la reconnaissance que les salariés et leurs représentants sont parties prenantes de l’entreprise.

Le paradoxe entre RH et RSE

Il ressort qu’une compréhension stratégique du droit social conduit à reconnaître que de facto le personnel est une partie prenante de l’entreprise au sens de la RSE. Les entreprises n’ont pas le choix et la nouvelle rédaction de l’article L 1833 du code civil qui les oblige à prendre en considération les enjeux sociaux n’apporte rien de nouveau en matière de gestion du personnel. Le traitement tactique de situations individuelles ou collectives qui n’est pas inscrit dans cette vision ne sécurise pas l’entreprise. Elle se met en marge des évolutions et les tensions qui en résultent s’expriment dans les relations professionnelles et les contentieux. Au-delà, parmi les entreprises qui souhaitent s’orienter vers la formalisation d’une raison d’être, voire d’une mission, celles qui font une application stratégique du droit social sont prêtes. Toutefois, dans ce contexte, les salariés ne peuvent plus représenter une simple ressource et l’appellation même de la fonction « Ressources Humaines » interroge. Elle adresse un message paradoxal au personnel auquel il est demandé de s’engager, et que l’on renvoi simultanément au statut d’une simple ressource. Il est probable qu’en accédant à ses lettres de noblesse la fonction « RH » soit dissoute dans une mission stratégique plus large et revête un habit qui reste à créer.

Jacques Uso

 

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