Coronacrise et Gestion des RH – Contamination des relations employeur-salariés 2/2

25 mai 2020

L’importance des représentants du personnel

Représentants du personnel et directions ont entre les mains les leviers juridiques pour ajuster en permanence, et tout au long de la crise qui a débuté avec le confinement, la capacité de production et la masse salariale, tout en privilégiant le maintien dans l’emploi durable. La responsabilité est lourde et les choix vont être complexes, notamment pour les représentants du personnel dont l’origine et la vocation ont été d’améliorer les conditions d’emploi et de vie des salariés. C’est un bouleversement profond de leur rôle qui a été initié de longue date et qui prend toute son ampleur dans la gestion de la crise actuelle. L’étude d’impact des ordonnances de septembre 2017 relevait que « Le succès de cette évolution structurelle majeure, qui s’inscrit dans le long terme, est conditionné à un basculement rapide et massif dans la nouvelle logique, de sorte que le code du travail soit rapidement et résolument rédigé dans des termes affichant la primauté de l’accord d’entreprise et que les années à venir soient consacrées à la mise en œuvre de toutes les initiatives de nature à généraliser le recours à la négociation locale et loyale ». Nous y sommes. Probablement plus rapidement que ne l’avaient imaginé les rédacteurs de ces textes. Seules des relations loyales entre direction, avec l’appui des actionnaires, et représentants du personnel permettront la fréquence et la précision des ajustements à réaliser.

Les entreprises qui y parviendront se créeront un avantage concurrentiel indéniable. L’enjeu est majeur, pour les directions, les actionnaires, les salariés et l’économie nationale. Le succès nécessite que les procès d’intention historiques n’aient plus lieu d’être. Les représentants du personnel ne sont pas des irresponsables économiques et les employeurs ne sont pas des irresponsables sociaux. Ils peuvent trouver et ajuster ensemble, sans recours au rapport de force, de manière fluide, les équilibres qui protègent leur bien commun. Certaines entreprises, profitables, le font de longue date. Deux points de vigilance sont à observer particulièrement côté direction, et un côté représentants du personnel, pour faciliter la fluidité des ajustements. La formation et l’information des représentants du personnel vont devenir primordiales. Les textes prévoient certes une formation minimale de cinq jours à l’économie d’entreprise pour les élus, mais il est rare qu’ils aient bénéficié d’une formation initiale dans ces domaines. Des compléments de formation seraient des investissements utiles qui peuvent rendre les élus moins dépendants d’experts et faciliter le dialogue direct. Dans la même veine, la présentation de la BDES va prendre toute son importance. Il ne s’agit pas du volume des informations. La réglementation est copieuse, probablement trop. Il s’agit de clarté et de pédagogie, de la volonté de rendre l’information accessible, compréhensible, utile.

Ceci suppose, et c’est le point de vigilance particulier côté représentants du personnel, que les élus et délégués syndicaux rassurent les directions sur l’utilisation de ces informations, leur confidentialité et la sincérité de leurs propositions. Ces sujets peuvent être utilement traités dans le cadre d’accords sur le dialogue social qui précisent le rôle et moyens des représentants du personnel, comme c’est certes usuel, mais aussi leurs obligations et sanctions attachées (qui ne sont pas nécessairement disciplinaires mais peuvent l’être), la finalité du dialogue social, les valeurs partagées, les engagements communs. Nous avons pu observer à maintes reprises, que la négociation loyale d’un accord de cette nature contribue fortement à ce que direction et représentants du personnel deviennent réellement des partenaires sociaux.

La sécurité et la confiance au coeur des relations sociales

Dans les relations sociales la confiance était souhaitable. Elle est devenue nécessaire. L’actualité illustre toutefois qu’il reste pour certains un long chemin à parcourir. Dans la célèbre pyramide de Maslow, la sécurité apparaît comme l’un des fondamentaux sans lesquels l’engagement n’est pas envisageable. La responsabilité pénale des dirigeants d’entreprise, puis des maires, a fait l’objet d’un débat très récemment en raison du contexte de crise sanitaire. Certains ont évoqué une loi spécifique pour exonérer les chefs d’entreprises de responsabilité pénale en lien avec les mesures de prévention de contamination du coronavirus. La rédaction de l’article retenue par le Sénat le 5 mai est modérée et prévoit que « nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’avoir, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire […] pour faire face à l’épidémie de Covid-19, soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARS-CoV-2, soit causé ou contribué à causer une telle contamination», précisant que la responsabilité pourra être engagée en cas de « faute intentionnelle », de « faute par imprudence ou négligence » et de «violation manifestement délibérée des mesures ». Au final, ce texte de circonstance apporte très peu aux mesures actuelles et il ressort que si la peur des chefs d’entreprises est légitime, la solution est maladroite.

Le contexte suscite la peur. Celle d’être sanctionné pénalement, celle d’être contaminé, celle de perdre son emploi, celle de perdre son entreprise, ses biens personnels, de gérer des difficultés insurmontables. Elle est commune et partagée. Cette tentative de déresponsabilisation oppose la sécurité à la profitabilité économique, les salariés à l’employeur. C’est une régression considérable, alors que depuis des décennies les industries, y compris celles qui étaient les plus dangereuses, démontrent que les entreprises profitables savent assurer la sécurité de leurs salariés en l’intégrant dans leur process et leur organisation. Sécurité et profitabilité vont de pair. La solution n’est pas dans l’opposition mais dans la négociation. La mise en place, l’animation et l’ajustement régulier d’un dispositif partagé avec le CSE, voire formalisé dans le cadre d’un accord, atténuera sensiblement le risque pénal pour la direction. Au-delà cette construction commune diminuera le risque indemnitaire lié à la reconnaissance d’une faute inexcusable. Enfin, et c’est l’essentiel, le risque de contamination sera contenu ce qui contribuera à créer de la confiance avec les salariés qui seront plus libres de s’engager. Les mêmes observations peuvent être faites pour la gestion du risque de burn-out lié aux mauvaises conditions du télétravail et au retour sur les sites suite à l’angoisse du confinement.

L’impact de la loi PACTE

Le Canada héberge les sièges sociaux et actionnaires d’industries locales et internationales profitables. Pour autant, à l’occasion de deux jugements, l’un en 2004 (Magasins à rayons Peoples Inc. c. Wise), l’autre en 2009 (BCE Inc. c. Détenteurs de débentures) la Cour suprême du Canada a rappelé que « le Conseil, dans sa démarche de prise de décision, ne doit accorder aucun traitement préférentiel aux intérêts des actionnaires ni à ceux de toute autre partie prenante ». La récente loi PACTE s’inscrit dans cette logique. Elle a modifié le code civil et le code du commerce français pour contraindre les sociétés à prendre «en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » et les inviter à définir leur raison d’être, voire leur mission, prenant en compte l’ensemble des parties prenantes de leur activité, dont les salariés. En effet, le lien de subordination qui caractérise le contrat de travail n’est pas un lien de soumission.

Les textes et la jurisprudence sanctionnent les tentatives de soumission du salarié aussi bien par les exigences liées aux risques psychosociaux, dont le harcèlement moral, le délit de soumission, ou d’une manière plus large en s’appuyant sur l’article L 1121-1 du code du travail qui pose le principe de proportionnalité selon lequel : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché », c’est à- dire à l’intérêt économique dont l’employeur supporte le risque. Le salarié est un citoyen libre qui accepte l’autorité de son employeur dans un cadre contractuel, si elle est légitime et crédible. Il est une partie prenante majeure de l’entreprise. Les nouveaux textes sur l’objet social des sociétés éclairent la voie à suivre pour assurer à l’avenir la profitabilité de nos entreprises, par une prise en compte harmonieuse de l’intérêt de chacun, au bénéfice de tous.

Jacques Uso
Office & Culture n°56 juin 2020

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