Les conduites addictives en entreprise – Responsabilité de l’employeur (2/2)

4 juin 2018

Comment dépister l’usage d’alcool ou de drogue?

Pour que ces restrictions soient effectives, l’employeur doit pouvoir dépister l’usage d’alcool ou de drogue. La Cour européenne des droits de l’homme a admis qu’un employeur danois pouvait imposer un dépistage urinaire annuel de substances illicites ou dangereuses aux salariés responsables de la sécurité d’autrui.

Il s’agissait, en l’occurrence, de l’équipe de sauvetage embarquée sur les ferries d’une compagnie de navigation. Le juge européen a relevé l’objectif de l’employeur d’assurer la sécurité des passagers et de l’équipage, les effets nuisibles de l’alcool ou de la drogue sur le travail des personnes étant avérés, et qu’il était indispensable pour la sécurité des personnes que le ferry compte, à son bord, des membres d’équipage à même d’assurer leur fonction de sauveteur7.

Des tests salivaires

Il existe aujourd’hui des tests salivaires simples qui se présentent sous forme de bandelettes.

L’utilisation de ces tests fait l’objet de nombreuses controverses sur leur fiabilité (certains faux positifs étant observés), sur la difficulté à faire scientifiquement le lien entre la quantité de substance détectée dans l’organisme et le comportement du salarié et, enfin, sur les personnes habilités à pratiquer ces tests. Il peut en effet être considéré qu’il s’agit d’un examen biologique ne pouvant être fait que sous la responsabilité d’un biologiste ou d’un médecin (code de la santé publique, art. L. 6211-7 ) ou d’un simple « test à visée de dépistage, d’orientation diagnostique ou d’adaptation thérapeutique immédiate », au sens de l’ article L. 6211-3 du code de la santé publique et qui ne suppose pas l’intervention d’un praticien.

Compte tenu de ces doutes, la mise en place de ces tests doit se faire en concertation étroite avec la médecine du travail.

L’alcootest

Les difficultés liées à l’alcool étant identifiées depuis plus longtemps que celles liées à la drogue, la jurisprudence a dessiné le cadre de son dépistage.

Il a ainsi été jugé que le seul témoignage d’un client de l’entreprise était insuffisant pour établir l’état d’ébriété d’un salarié8. Considéré comme une atteinte aux droits de la personne, l’alcootest ne peut être pratiqué que moyennant des garanties sur la fiabilité du procédé et le respect de la personne. Le test n’est pas nécessairement effectué par le médecin du travail, mais peut être fait par une personne ou un organisme désigné par l’employeur qui n’a pas à être précisé dans le règlement intérieur9.

L’alcootest peut être pratiqué avant la prise de poste ou à la fin de la journée. Pour les postes à risques, des contrôles inopinés peuvent être réalisés, à titre préventif, à tout moment. Enfin, il est à noter que l’employeur a le droit de solliciter les services de la police ou de la gendarmerie pour qu’ils viennent constater le niveau d’alcoolémie d’un salarié sans qu’il soit nécessaire de faire figurer la possibilité d’une telle démarche dans le règlement intérieur10. Ce cadre est, pour l’essentiel, transposable au dépistage de la drogue.

Les sanctions concernant la drogue

Une fois le dépistage réalisé, l’employeur peut envisager de sanctionner le salarié fautif. La vente de stupéfiants justifie un licenciement pour faute grave11. S’il identifie un trafic sur le lieu de travail, l’employeur doit en informer les services de police, faute de quoi il pourrait être considéré complice.

Le seul fait, pour le salarié, d’introduire ou de fumer de la drogue sur le lieu de travail, peut être sanctionné, car ces activité sont illicites12. Pour les postes présentant un risque particulier, la Cour de cassation a précisé que le salarié peut être sanctionné si la drogue a été consommée en dehors du temps de travail13.

En l’occurrence, il s’agissait d’un salarié appartenant au personnel navigant commercial d’une compagnie aérienne, qui avait fumé pendant une escale entre deux vols long-courriers et se trouvait sous l’influence de produits stupéfiants pendant l’exercice de ses fonctions. De même, pour le Conseil d’État, la possibilité de sanctionner les salariés dont les contrôles s’avèrent positifs ne porte pas atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de manière disproportionnée par rapport au but recherché14.

Les sanctions concernant l’alcool

Pour autant, concernant l’alcool, il avait jugé que l’alcootest ne pouvait pas servir à la recherche d’une faute disciplinaire15, alors que la Cour de cassation a admis qu’un licenciement pour faute grave soit prononcé sur la base d’un alcootest positif16. Cette incertitude semble renaitre concernant les éthylotests antidémarrage.

Pour la Cnil, leur utilisation doit se limiter à des fins de prévention routière et aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée sur le seul fondement des résultats collectés par ces dispositifs17. Elle a été suivie par la cour d’appel de Rennes qui retient que l’éthylotest antidémarrage « ne permet pas un contrôle de l’alcoolémie (…) et ne présente pas de garantie de fiabilité »18.

Il est à relever, enfin, que lorsque l’ébriété est la conséquence d’une dépendance alcoolique, l’état de santé du salarié est en cause. Si la sanction se fonde uniquement sur cette dépendance alcoolique, elle peut être considérée comme discriminatoire, car basée sur l’état de santé du salarié.

Quand la sanction est possible, elle doit rester proportionnée. Il a été jugé que pouvait être sanctionné, mais non licencié : le salarié qui a consommé modérément des boissons alcoolisées, avant la fin de sa journée de travail, dans le cadre d’un pot organisé dans l’entreprise sans autorisation de l’employeur, alors même qu’il n’avait fait l’objet d’aucune sanction en 10 ans de présence dans l’entreprise et que son ébriété n’était pas démontrée19 ; celui qui, lucide, a un comportement normal malgré une consommation d’alcool au repas de midi20 ; ou celui qui boit, pendant son temps de pause, un verre d’alcool avec un prestataire dans les locaux qui lui sont réservés21.

À l’inverse, est justifié le licenciement : d’un chef de section sécurité qui avait, au cours d’un pot organisé par la direction, absorbé une quantité importante d’alcool22 ; d’un contremaître ayant, en infraction avec le règlement intérieur, consommé de l’alcool sur le lieu et pendant le temps de travail23 ; celui d’un directeur d’agence se trouvant régulièrement sur son lieu de travail en état d’ébriété après le déjeuner et dont le comportement pouvait durablement ternir l’image de l’entreprise24 ; ou, enfin, celui de l’animateur d’une maison d’accueil spécialisée qui détenait des bouteilles d’alcool, peu importe que ce soit dans un endroit fermé non accessible, en principe, aux résidents25.

Entre sécurité, convivialité, libertés individuelles …

L’employeur doit naviguer entre, d’une part l’obligation de sécurité de ses salariés et de prise en compte de leur état de santé, d’autre part la demande de convivialité, la protection des libertés individuelles et la grande difficulté à organiser un dépistage utile. La complexité des décisions qui en découlent invite à ne pas rester isolé et à privilégier la prévention à la répression. Le sujet semble tout indiqué pour expérimenter, pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, l’approche collaborative à laquelle conduit l’évolution de la jurisprudence portant sur les relations individuelles du travail et les réformes successives des relations collectives du travail. Dans cette perspective les échanges avec les élus du CSE, avec l’appui de la médecine du travail et les services de prévention de la CNAM, doivent porter sur les deux volets de la politique à mettre en place.

La répression est nécessaire à la protection de la communauté de travail. Sans tenter de faire l’impossible liste exhaustive des situations à prendre en compte, le partage avec le CSE doit viser à sécuriser l’action coercitive quand elle est nécessaire. Il s’agit de déterminer les modalités d’un dépistage dans l’urgence, de la conduite à tenir en cas de comportement inquiétant et, peut-être, de mettre en place une procédure d’échange avec le salarié concerné et un représentant du personnel avant d’engager une procédure pouvant conduire au licenciement. La construction avec le CSE doit, bien entendu et avant tout, porter sur les actions préventives. La question des pots peut ainsi être résolue en trouvant l’équilibre entre convivialité et sobriété avec des règles simples : limitation de certaines boissons alcoolisées, présence de plus de boissons non alcoolisées, affectation d’une personne à la distribution d’alcool ou mise au point d’un service de prise en charge des collaborateurs présentant des signes inquiétants. Il peut également être convenu de la conduite que devra tenir tout responsable hiérarchique qui observe une dégradation de l’état d’un salarié qui semble pouvoir s’expliquer par la prise excessive d’alcool, ainsi que du moment et des modalités de l’alerte de la médecine du travail.

Visite auprès de la médecine du travail

En effet, en application de l’article R. 4624-34 du code du travail, l’employeur peut avoir l’initiative d’une visite auprès de la médecine du travail.

Il peut utiliser cette possibilité pour s’assurer de l’aptitude du salarié à son poste ou tenter d’engager un processus de soutien au salarié. Si le médecin du travail ne semble pas vouloir reconnaître une situation d’addiction qui risque d’être dangereuse pour le salarié, l’employeur peut saisir l’inspecteur du travail pour contester l’avis médical (L. 4624-1, al. 3). Il peut également saisir le conseil des prud’hommes d’une demande de désignation d’un médecin-expert pour contester les éléments de nature médicale justifiant l’avis du médecin du travail et, ainsi, s’assurer de l’absence de danger ou organiser une prise en charge adaptée(L. 4624-7, R. 4624-45).

Selon l’effectif de l’entreprise et l’importance supposée des consommations, des programmes ambitieux peuvent être convenus avec le CSE. Le document unique d’évaluation des risques peut s’avérer un support efficace, en y faisant figurer la consommation d’alcool comme un facteur d’aggravation du risque et en prévoyant des mesures préventives adaptées.

En complément, peuvent être créés des groupes de pilotage et de prévention. Composé en totalité ou en partie d’élus au CSE, le groupe de pilotage fixe les lignes directrices de la politique de prévention et propose un programme d’intervention.

Les actions peuvent être de différentes natures : identification des postes critiques pour la sécurité, définition des indicateurs d’alerte et de suivi, mise en place d’un outil d’aide au repérage précoce et à l’intervention brève (RPIB),formation, recours à des intervenants extérieurs.

La définition, en concertation avec le CSE, d’une politique générale permet de sécuriser la répression et de privilégier la prévention et, par conséquent, favorise l’épanouissement de la collectivité de travail. L’élaboration de cette politique est un exercice complexe. La définition concertée au préalable de la méthode à utiliser pour définir cette politique peut être un bon entraînement pour étendre ensuite cette pratique à l’ensemble des sujets de négociation.
Jacques Uso,

Références :

  1. CEDH, 1re ch., nov. 2002, no 58341/00, Madsen
  2. Cass. soc., 13 nov. 1996, no 93-44.832
  3. Rép. min., JOAN, 10 nov. 1997, no 1177, p. 3964; CE 9 oct. 1987, no 72-220
  4. Cass. soc., 9 juin 1992, no 91-42.040 ; Cass. soc., 24 févr. 2004, no 01-47.000
  5. Cass. soc., 17 oct. 2009
  6. CA Montpellier, 7 avr. 2000, RJS 11/00 no 1201 ; Cass. soc., 1er juill. 2008, no 07-40.053
  7. Cass. soc., 27 mars 2012, no 10-19.915
  8. CE, 5 déc. 2016, no 394.178
  9. CE, 9 oct. 1987, no 72.220
  10. Cass. soc., 22 mai 2002, no 99-45.878
  11. Cnil, AU nº 26, 25 févr. 2017, Cnil, délib. nº 2010-005, 28 janv. 2010
  12. CA Rennes, 14 janv. 2015, no 14/00618
  13. Cass. soc., 15 déc. 2011, no 10-22.712
  14. Cass. soc., 17 mai 2005, no 03-43.082
  15. Cass. soc., 18 déc. 2002, no 00-46.190
  16. Cass. soc., 6 déc. 2000, no 98-45.785
  17. Cass. soc., 25 janv. 1995, no 93-41.899
  18. Cass. soc., 9 févr. 2012, no 10-19.496
  19. CA Douai, 16 avr. 2004, no 00-525

Office et Culture n°48 de juin 2018