evaluation des salariés en entreprise

L’évaluation des salariés 1/2

3 avril 2019

L’évaluation des salariés n’est pas obligatoire. Elle est toutefois généralisée et très encadrée. Une grande variété de modalités peut être observée. Certaines présentent un risque réel pour l’entreprise. L’efficacité des autres, admises, ne tient ni à leur sophistication ni à leur innovation.

L’évaluation des salariés

L’évaluation des salariés est une pratique généralisée, alors qu’à l’exception de rares conventions collectives, aucun texte ne l’impose à l’employeur. La jurisprudence envisage l’évaluation des salariés non comme une obligation à la charge de l’employeur, mais comme un droit pour celui-ci, inhérent à son pouvoir de direction (1). Dans le prolongement de cette logique elle ajoute que le refus réitéré du salarié de se soumettre à une évaluation de son travail peut constituer une faute grave justifiant son licenciement (2). Toutefois l’exercice du pouvoir de direction ne doit pas viser à soumettre le salarié. Dans les cas extrêmes l’employeur peut être déclaré coupable du délit de soumission défini à l’article 225-14 du code pénal « Le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende ». Les magistrats précisent que quelles que soient les exigences du process de fabrication, les salariés ne peuvent pas être « le prolongement d’une machine-outil » (3). Sans pour autant s’inscrire dans ces conditions de travail effroyables, toute tentative de soumission de la volonté du salarié est sanctionnée. Ainsi le harcèlement moral est un délit. Le fait de tenter de soumettre la volonté d’un salarié, de porter atteinte à sa dignité est un délit. Les magistrats ont fait recours à la notion de dignité bien avant les textes sur le harcèlement moral. Dans un arrêt de 1998, pour rejeter la faute grave d’un salarié la Cour de Cassation avait relevé que ce dernier « avait été privé des moyens d’exécution de ses tâches dans des conditions portant atteinte à sa dignité » (4). Dans cette affaire l’employeur avait imposé au salarié de quitter son bureau habituel pour l’éloigner de ses collègues, l’avait privé de téléphone et imposé des dates de congés sans raison objective. En complément, une abondante jurisprudence fait application de l’article L 1121-1 du Code du travail qui pose le principe de proportionnalité selon lequel « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché », c’est-à-dire à la défense de l’intérêt économique dont l’employeur supporte le risque.

Ce qui est communément appelé l’évaluation du salarié, et plus généralement l’entretien annuel du salarié, ne peut donc pas avoir pour objet ou pour effet d’évaluer le salarié, directement ou indirectement. Ce serait porter atteinte à sa dignité ou à ses libertés individuelles. A l’inverse l’évaluation peut être centrée sur la prestation rendue par le salarié. L’employeur est toutefois tenu d’élargir le champ de l’évaluation aux compétences du salarié. En effet selon l’article L 6321-1 du code du travail l’employeur a l’obligation d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et d’une manière générale celle de maintenir leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il doit donc pouvoir contrôler le niveau de maîtrise des compétences du salarié. Bien qu’ils se recoupent, ces deux champs d’investigation ne relèvent pas de la même finalité et ne renvoient pas aux mêmes outils. L’entretien professionnel peut faire échos à l’obligation posée par l’article L 6321-1. Il est consacré aux perspectives d’évolution professionnelle, notamment en matière de qualification et d’emploi (5) et a lieu tous les deux ans à partir de l’embauche, sauf périodicité différente prévue par accord collectif, et à l’issue d’une longue suspension du contrat de travail comme un congé maternité, parental d’éducation, de proche aidant, d’adoption, sabbatique, une période de mobilité volontaire sécurisée, un arrêt longue maladie. A la demande du salarié, cet entretien peut être organisé avant la reprise du poste (6). Il est complété tous les six ans, par un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel qui vise à observer si le salarié a suivi au moins une action de formation, acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience, et fait l’objet d’une progression salariale ou professionnelle. Il s’agit d’analyser les compétences et perspectives d’évolution professionnelle du salarié dans le champ d’exploration défini par le code du travail ou par un accord d’entreprise. Pour éviter tout amalgame avec l’évaluation de l’activité, l’article L. 6315-1 du Code du travail énonce que « cet entretien ne porte pas sur l’évaluation du travail du salarié ». L’évaluation, au sens du contrôle du travail du salarié, doit avoir lieu dans un autre cadre qui n’est pas défini par les textes.

La procédure

L’employeur semble par conséquent libre de déterminer le système d’évaluation de l’activité de ses salariés, qui lui apparaît le plus pertinent, d’autant que les éventuelles prescriptions prévues dans la convention collective portant sur ce sujet peuvent être dorénavant amendées par accord d’entreprise. Toutefois, l’article L 1222-3 du code du travail précise que les méthodes et techniques d’évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie et l’article L 2312-38 du code du travail prévoit que Le comité social et économique est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés. La méconnaissance de cette obligation peut entraîner la suspension du dispositif d’évaluation et constituer un délit d’entrave (7). De manière générale, le comité social et économique doit être consulté sur les conditions d’emploi, l’introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (8). Dès lors qu’un dispositif d’évaluation est susceptible d’avoir des incidences sur la santé des salariés, l’employeur doit donc le présenter au comité social et économique préalablement à sa mise en place, comme il le faisait auparavant devant le CHSCT. Il a ainsi été jugé qu’il doit être informé et consulté sur la mise en place d’un système d’évaluation dont les enjeux et modalités sont de nature à générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail. Cette pression psychologique potentielle peut résulter du fait que les évaluations annuelles sont destinées à permettre un ajustement des rémunérations et objectifs et sont susceptibles d’avoir une incidence sur le comportement des salariés, leur évolution de carrière et leur rémunération (9). Les juges du fond s’attachent à la perception par les salariés des incidences du système d’évaluation pour déterminer si sa mise en place affecte leurs conditions de travail. Ainsi, a été jugé comme ayant un impact important sur les conditions de travail, le dispositif d’évaluation comprenant un système d’écoute et d’enregistrement des communications professionnelles des salariés répondant à la clientèle, induisant un contrôle accru des salariés, en y associant des notations et de possibles sanctions (10). Dans ce cadre, le comité social et économique peut demander la désignation d’un expert habilité s’il estime que le dispositif d’évaluation du personnel envisagé par l’employeur est susceptible de constituer « un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail » (11). Au-delà des représentants du personnel, les textes prévoient que le salarié doit être expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles (12) et qu’aucune information le concernant ne peut être collectée par un dispositif qui n’aurait pas été préalablement porté à sa connaissance (13). Le Code du travail ne précise ni les modalités de cette information, ni son degré de précision. Le règlement européen général sur la protection des données personnelles (RGPD) impose quant à lui que la personne concernée par le dispositif ait été informée ou ait donné son consentement explicite lorsque des données personnelles la concernant sont collectées (14). Cette obligation de démontrer que les salariés sont bien informés a semble-t-il une portée limitée. Il a en effet été jugé dans le cadre d’un licenciement collectif pour motif économique, que l’impossibilité de démontrer que les salariés ont bien été informés sur les techniques et méthodes d’évaluation ne caractérise pas une inobservation des critères d’ordre des licenciements qui prendraient en compte les qualités professionnelles des salariés, dès lors que l’appréciation de ces qualités professionnelles repose sur des éléments objectifs et vérifiables (15).

Les méthodes d’évaluation des salariés

De fait la pratique révèle une grande diversité dans les méthodes retenues par les entreprises, l’entretien annuel d’évaluation étant le dispositif le plus répandu. Toutefois, quelle que soit la méthode d’évaluation choisie, il est impératif de s’assurer que sa mise en œuvre ne porte pas atteinte à la santé, notamment mentale, des salariés. La méthode retenue ne doit donc pas être une source de stress pour les salariés, et encore moins caractériser un risque psychosocial. Certaines méthodes semblent nécessiter une vigilance particulière de la part de l’employeur et font l’objet d’hésitations. Le « benchmark », par exemple a dans un premier temps été jugé illicite. Il s’agit d’une évaluation permanente des salariés pris individuellement, puis par comparaison permanente des résultats des salariés entre eux. Des magistrats ont considéré qu’il compromettait gravement la santé des salariés en raison de l’absence de définition précise des objectifs à atteindre et des risques sociaux qu’il engendrait (16), alors qu’au final la Cour d’Appel a retenu que c’était l’application qui en était faite par l’employeur qui pouvait conduire à affecter la santé des salariés (17). Ont également pu apparaître présenter un risque pour la santé des salariés un système d’évaluation qui ne comporte pas d’objectifs précis, hormis celui de faire mieux que les autres, qui créait un état de stress permanent pour les salariés notamment parce que la comparaison entre collègues déterminait le montant de la rémunération variable. Ce système a été validé par la suite, une fois que les salariés n’avaient plus accès aux résultats de leurs collègues, n’étaient plus comparés au meilleur de leurs collègues mais à la médiane. Il a également été considéré qu’un système d’évaluation qui fait passer la performance avant la satisfaction de la clientèle était abusif. La question se pose aussi pour l’évaluation à 360 degrés faite de manière anonyme par l’encadrement, mais également par les collègues, voire les clients de l’entreprise, ou les fournisseurs, qui soumet le salarié à des jugements auxquels il ne peut pas apporter de réponse. Le « ranking » a également fait l’objet de débats. Ce procédé consiste à évaluer puis classer les salariés placés dans des conditions similaires au sein de groupes allant du moins performant au plus performant à fin de prévoir des actions d’accompagnement et de coaching pour les salariés les moins performants et de déterminer les salariés bénéficiant d’une augmentation individuelle. A été jugé illicite le ranking forcé ou ranking par quota qui impose à l’évaluateur de classer les salariés dans un nombre prédéfini de groupes, selon des pourcentages prédéterminés et non des critères objectifs de compétences (18). A l’inverse, a été validé le ranking, sans quota obligatoire, qui ne s’inscrit pas dans une logique disciplinaire mais dans une optique d’adaptation permanente du personnel aux exigences de l’entreprise notamment par de la formation (19).

 

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1. Cass. soc., 10 juill. 2002, no 00-42.368 ; Cass. soc., 16 oct. 2013, no 12-18.229
2. Cass. soc., 10 juill. 2002, no 00-42.368
3. Revue de science criminelle 2003 p. 561
4. cass. soc. 16 juillet 1998, n° 96-41.480
5. C. trav., art. L. 6315-1
6. C. trav., art. L. 6315-1
7. Cass. soc., 10 avr. 2008, no 06-45.741
8. C. trav., art. L. 2312-8
9. Cass. soc., 28 nov. 2007, no 06-21.964
10. CA Paris, 14e ch., 5 déc. 2007, no 07/11402
11. C. trav., art. L. 2315-94
12. C. trav., art. L. 1222-3
13. C. trav., art. L. 1222-4
14. Règl. UE no 2016/679, 27 avr. 2016, JOUE L 119, 4 mai 2016
15. Cass. soc., 21 nov. 2006, no 05-40.656 ; Cass. soc., 11 avr. 2008, no 06-45.804
16. TGI Lyon, 2e section, 1re ch., 4 sept. 2012, no 11/05300
17. CA Lyon, ch. soc. C, 21 févr. 2014, no 12/06988
18. CA Versailles, 1re ch., 8 sept. 2011, no 10/00567 ; Cass. soc., 27 mars 2013, no 11-26.539
19. CA Grenoble, ch. soc., 13 nov. 2002, no 02/02794