responsabilité pénale du salarié et de l'entreprise

Responsabilité pénale des salariés et de l’employeur : de l’utilité des délégations de pouvoirs 1/2

10 décembre 2018

La responsabilité pénale du dirigeant et la responsabilité civile de l’entreprise sont très étendues et, ce qui est moins connu, celles des salariés également. La mise en place de délégations de pouvoirs est un acte managérial structurant, réalisé dans l’intérêt de l’entreprise, du dirigeant et des salariés.

 

La responsabilité civile du salarié

Le salarié peut voir sa responsabilité pénale engagée lorsqu’il commet une infraction de droit commun dans l’exercice de ses fonctions. Les chefs d’accusation sont nombreux. Il peut s’agir par exemple de vol, d’escroquerie, d’abus de confiance, de coups et blessures volontaires. La qualification pénale peut dans certaines situations renforcer la faute qui peut être sanctionnée au titre du contrat de travail.

A ainsi été déclaré coupable d’abus de confiance, le salarié qui avait détourné son ordinateur et la connexion internet de l’usage pour lequel ils avaient été mis à sa disposition, pour visiter, durant ses heures de travail, des sites à caractères érotique et pornographique et pour envoyer et recevoir des messages se rapportant à ces thèmes (1).

A l’inverse, il a été jugé que si la soustraction frauduleuse de documents appartenant à l’entreprise est, en principe, pénalement répréhensible, le délit de vol n’est pas constitué lorsque le salarié s’est procuré ces documents à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et dans le seul but légitime de faire valoir ses droits dans un procès l’opposant à son employeur (2).

Au-delà des infractions pénales de droit commun, le législateur a créé des infractions spécifiques propres au champ du droit du travail comme la divulgation des secrets de fabrication et la corruption du salarié, qui sanctionnent des défaillances des salariés à leurs obligations de loyauté et de fidélité. Le délit de corruption vient sanctionner le fait de solliciter ou d’agréer, directement ou non, à l’insu et sans l’autorisation de son employeur des offres ou des promesses, des dons, présents, escomptes ou des primes pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte de sa fonction (3). Le délit de violation de secret de fabrique sanctionne les révélations ou les tentatives de révélations de secrets de fabrique de l’entreprise où il est employé (4). La responsabilité pénale du salarié peut également être engagée en matière de santé et sécurité, en l’absence de toute délégation de pouvoirs.

A ainsi été condamné pour homicide involontaire ce salarié qui en manoeuvrant une chargeuse de 20 tonnes écrase un intervenant d’une entreprise extérieure. Il s’est vu reprocher une faute d’imprudence en ne prêtant pas attention à la présence de la victime sur le trajet emprunté par la chargeuse, alors que la zone était non balisée, peu éclairée et que sa visibilité était réduite du fait de l’absence d’éclairage de l’engin et du bris du pare-brise (5).

A également été reconnu coupable d’homicide involontaire un contremaître qui, en l’absence de l’employeur, avait pris l’initiative d’exécuter une tâche non prévue dans le programme de travail, celle-ci ayant conduit au décès d’un ouvrier (6). A l’inverse lorsqu’il y a une infraction au Code du travail, qui peut prévoir des sanctions pénales, en principe, en l’absence de délégation de pouvoirs, seule la responsabilité de l’employeur est retenue, même lorsque cette infraction a été matériellement commise par un salarié. L’employeur s’est réservé le pouvoir de faire appliquer la réglementation. Il est donc celui qui est poursuivi pour avoir méconnu les prescriptions de sécurité.

Les infractions mentionnées par l’article L. 4741-1 du code du travail sont d’ailleurs imputées à l’employeur ou à son délégataire. Il est toutefois à noter que des salariés non titulaires d’une délégation de pouvoirs peuvent aussi être reconnus pénalement responsables dès lors qu’ils ont la direction effective d’une entreprise ou d’un chantier. Ainsi, un ingénieur responsable de chantier a été reconnu coupable d’infraction aux dispositions du décret 65-48 du 8 janvier 1965 (portant règlement d’administration publique pour l’exécution des dispositions du livre II du Code du travail). Ayant la direction effective du chantier, il avait commis une faute personnelle en n’exigeant pas que l’ouvrier tombé d’un toit porte une ceinture de sécurité (7). Suivant la même logique mais aboutissant en raison des circonstances de fait à une décision inverse, dans cette autre affaire, les juges ont relevé que les travaux commandés à l’ouvrier, qui possédait une expérience de plus de 20 ans, devaient être exécutés sur une terrasse inférieure, munie de tous les dispositifs de protection nécessaires. Le salarié avait, de sa propre initiative et sans en référer à quiconque, abandonné la terrasse protégée afin de commencer à travailler sur le niveau intermédiaire où il avait pu accéder par une échelle qu’il avait lui-même mise en place. Les jugent concluent que le conducteur de travaux qui ne pouvait prévoir et empêcher ce comportement dangereux n’avait commis aucune faute personnelle de nature à engager sa responsabilité pénale (8). La responsabilité pénale du salarié peut ainsi être engagée, en l’absence de toute délégation de pouvoirs, au titre des dispositions du code pénal, comme de celles du code du travail. Le fait qu’il ait agi sur ordre de son employeur n’est pas une cause exonératoire (9). Un tel ordre ne constitue ni le commandement de l’autorité légitime de l’article 122-4 du Code pénal, ni la force ou la contrainte à laquelle le salarié n’a pu résister de l’article L. 122-2 du Code pénal. La preuve d’un ordre de l’employeur aura néanmoins pour effet d’engager sa responsabilité pénale, comme complice ou coauteur de l’infraction commise par le salarié mais le salarié engage sa responsabilité pénale et peut voir engager sa responsabilité civile.

Dans une affaire jugée en 2001, la direction de la société avait trouvé comme astuce, pour augmenter sa marge, d’obtenir les subventions destinées à financer de faux contrats de qualification. Elle avait défini le mode opératoire et exigé de son comptable qu’il participe à l’établissement de faux documents. La Cour de Cassation réunie en assemblée plénière a considéré que le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l’ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci. (10).

 

Responsabilité de l’employeur

Il a été jugé à de nombreuses reprises que La faute pénale du salarié exonère l’employeur de sa responsabilité civile. Ainsi, la responsabilité de l’employeur n’est pas engagée lorsqu’un salarié donne volontairement la mort à un autre salarié de l’entreprise avec une arme personnelle, hors du temps et du lieu du travail, même si ce crime faisait suite à une altercation s’étant produite deux heures auparavant sur le lieu du travail (11), ou encore lorsqu’un salarié, pour satisfaire à une curiosité personnelle, entre, pendant son temps de travail et sur son lieu de travail, dans un véhicule en stationnement, le démarre et blesse grièvement le propriétaire du véhicule se trouvant à proximité ; (12) ou enfin lorsque un agent de surveillance, pris selon ses propres termes « d’une pulsion subite », se détourne de son trajet pour mettre le feu à un Buffalo Grill qui n’était pas dans son secteur d’intervention (13).

Toutefois, la faute pénale du salarié qui conserve un lien avec la fonction engage la responsabilité civile de l’employeur. Ce dernier peut en effet être mis en cause dès lors que le salarié a trouvé dans ses fonctions l’occasion et les moyens de commettre sa faute. La victime peut alors agir en responsabilité à la fois contre le salarié et contre l’employeur (14).  Il a ainsi été jugé que pouvait être retenue la responsabilité de l’employeur d’un clerc de notaire qui avait placé les fonds d’un client dans des opérations interdites. Ce dernier avait des procurations bancaires, la signature de la SCP, la maîtrise de la comptabilité et de la surveillance des fonds. Il avait par conséquent trouvé dans son emploi l’occasion et les moyens de sa faute. (15). S’agissant d’une banque, cet employé indélicat avait détourné des fonds versés par un client. Ce détournement ayant eu lieu au temps et au lieu du travail du salarié, il a été considéré que la responsabilité civile de l’employeur était engagée et qu’il devait dédommager le client.

Dans la même veine La Poste a été déclarée civilement responsable des agissements d’un conseiller financier, condamné pour s’être approprié des fonds appartenant à des clients qui, mis en confiance par le titre mentionné sur la carte de visite, avaient accepté d’effectuer un retrait dit « volontaire » en vue d’une opération qui leur a été présentée comme un placement financier  (16).

L’employeur peut donc être tenu de réparer le préjudice créé par l’un de ses salariés qui commet une faute suffisamment caractérisée, et dissimulée, pour être sanctionnée pénalement. Au-delà, sur la base de l’exécution du contrat de travail, l’employeur peut être tenu de garantir ses salariés à raison d’actes ou de faits accomplis dans le cadre de leur travail. Dans cette affaire, le salarié, au service d’une société d’assurances, avait fait l’objet d’une plainte pour faux en écriture déposée par un client et mis en examen. Il bénéficie finalement d’une décision de non-lieu et demande à son employeur le remboursement des frais engagés dans la procédure pénale. La Cour de cassation lui donne gain de cause et pose le principe que l’employeur, investi par la loi du pouvoir de direction et de contrôle de ses salariés, est tenu de les garantir à raison des actes ou faits qu’ils passent ou accomplissent en exécution du contrat de travail (17).

 

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  1. Cass. crim., 19 mai 2004, no 03-83.953, Bull. crim., no 126
  2. Cass. crim., 11 mai 2004, no 03-85.521, Bull. crim., no 117
  3. Cass. crim., 22 nov. 1973, no 71-93.683, Bull. crim., no 433, p. 1073 ; Cass. crim., 10 juill. 1996, no 95-84.095
  4. Cass. crim., 24 juin 1985, no 83-92.873, Bull. crim., no 247, p. 641
  5. Cass. crim., 17 janv. 2006, no 05-81.765
  6. Cass. crim., 20 sept. 1980, no 79-94.452
  7. Cass. crim., 3 mai 1978, no 76-93.176)
  8. Cass. crim., 14 oct. 1986, no 86-91.401
  9. Cass. crim., 26 juin 2002, no 01-87.314, Bull. crim., no 148 ; Cass. ass. plén., 14 déc. 2001, no 00-82.066
  10. Cass. ass. plén., 14 déc. 2001, no 00-82.066
  11. Cass. crim., 15 févr. 1977, no 75-92.706
  12. Cass. 2e civ., 3 juin 2004, no 03-10.819
  13. Cass. crim., 7 sept. 2004, no 03-87.018
  14. C. civ., art. 1382 et 1384 ; Cass. crim., 28 mars 2006, no 05-82.975
  15. Cass. 2e civ., 4 mars 1999, no 96-18.361
  16. Cass. 2e civ., 28 févr. 1996, no 94-15.885; Cass. crim., 15 nov. 2000, no 00-82.860
  17. Cass. soc., 18 oct. 2006, no 04-48.612

 

Office et Culture n°50 décembre 2018