La rupture conventionnelle

La rupture conventionnelle (2/2)

5 avril 2018

Bien préparer les réunions de négociations

Dans un article paru dans Capital.fr, le 31 janvier 2018, un avocat, spécialisé en droit social, indique la marche à suivre pour « faire cracher » un maximum l’employeur. Ce dernier recommande aux salariés de se faire accompagner par un représentant du personnel ou un conseil extérieur lors des réunions de négociation. Il ajoute qu’il est important de préparer ces entretiens en faisant la liste de tous les griefs que le salarié pourrait avoir à l’égard de l’employeur ; il cite les défauts de respect de la réglementation sur les contrats précaires avant l’embauche définitive, les faits de harcèlement ou les heures supplémentaires non payées. Nous serions tentés d’ajouter : l’inadéquation de la classification au regard de la réalité du travail ; une modification larvée du contrat de travail en raison de l’évolution des fonctions ou de l’organisation ; le non-respect de l’obligation de résultat en matière de santé mentale ; l’absence de recherche d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ; les inégalités de traitement voire les discriminations ; et bien d’autres champs dans lesquels, en raison de la complexité de la relation professionnelle et du droit du travail, l’employeur peut être pris en défaut.

Le montant de l’indemnité spéciale, de quoi dépend-il ?

Dans cette approche, le montant de l’indemnité spéciale de rupture conventionnelle est déterminé par le degré de mauvaise foi du salarié et le niveau d’incompétence de l’employeur et de sa ligne managériale.

Le salarié qui se sent en difficulté, ou déçu par ses perspectives d’évolution dans l’entreprise, peut préparer plusieurs mois à l’avance la négociation de rupture conventionnelle de son contrat de travail. Il se met en quête des thèmes qui pourraient faire l’objet d’une demande de dommages-intérêts auprès du Conseil de prud’hommes, des faits dont la divulgation serait dommageable pour l’image de l’entreprise ou de ses dirigeants, et consigne patiemment les éléments de preuve ou pouvant étayer une présomption à l’encontre de l’employeur. Il prépare son scénario, attend le moment opportun et engage la négociation.

Dans un dossier, nous avons pu observer que le salarié avait commencé à préparer la négociation deux années à l’avance. Il s’agit là d’un cas extrême car, généralement, le salarié commence à recenser les reproches qui peuvent être faits à l’employeur lorsqu’il a décidé de quitter l’entreprise, c’est-à-dire quelques jours ou quelques semaines avant sa proposition de première réunion.

Les employeurs ne sont pas en reste. Confrontés à un salarié qui ne donne plus satisfaction, ils peuvent également être tentés de recueillir les preuves de ses insuffisances pour en faire état lors d’une négociation de départ, qu’ils mettent en œuvre quand ils considèrent que leur dossier est suffisamment dissuasif.

Le montant de l’indemnité tient alors à la solidité apparente de ce que serait un dossier contentieux, de part et d’autre. Ce montant est la prime qui récompense le degré de mauvaise foi du salarié qui aura un dossier d’autant plus étayé qu’il aura été patient. C’est aussi la prime due par l’employeur en raison de son incompétence et celle de sa ligne managériale qui aura laissé se développer des pratiques en marge du cadre fixé par les textes ou la jurisprudence ou n’aura pas assuré un minimum de traçabilité. Il peut aussi s’agir du résultat d’un calcul entre le coût prévisionnel de l’application de certaines règles et le coût prévisionnel de cette prime qui n’est due que quand le risque se réalise.

Un message paradoxal à la communauté de travail

Cette approche de la rupture conventionnelle envoie un message paradoxal à la communauté de travail. La ligne managériale attend des salariés engagement, prise en compte des intérêts de l’entreprise et bonne foi, alors que ceux qui ont créé le plus de trouble et ont fait preuve de la plus grande mauvaise foi dans la préparation de leur départ, perçoivent les indemnités les plus élevées au moment de leur départ. Cette contradiction renforce les plus anciens ressorts des antagonismes historiques et le rapport de forces associé. Elle est contraire à la perspective de relations professionnelles collaboratives que le droit social met en place progressivement depuis de nombreuses années. Cette évolution concerne aussi bien les relations de travail individuelles que collectives.

Pour mémoire, depuis la réforme de 2008, les réponses du Conseil constitutionnel aux nombreuses questions préjudicielles organisent un délicat équilibre entre, d’une part la liberté d’entreprendre et de diriger l’entreprise et, d’autre part, les libertés individuelles des salariés, qui conduisent à une relation de travail conscientisée et collaborative. Concernant les relations collectives de travail, les réformes en cours poursuivent celles engagées depuis 2004, mettent l’accent sur la négociation locale, empreinte de loyauté et renvoient au passé les procès d’intention et les rapports de force. Le montant de l’indemnité spéciale dépend du degré de mauvaise foi du salarié et du niveau d’incompétence de l’employeur et de sa ligne managériale. OFFICE ET CULTURE 47 management 65 Parmi ces nouveaux textes, celui sur la rupture conventionnelle collective homologuée suggère, peut-être, une piste pour redonner à la rupture individuelle une dimension managériale constructive.

Le développement du recours au volontariat

L’étude d’impact du projet de loi d’habilitation relève que « le développement du recours au volontariat dans les procédures de restructuration est un acquis important qu’il convient d’encourager, dans la mesure où cela permet de limiter le nombre de licenciements contraints et de faciliter le retour à l’emploi des salariés concernés par les restructurations ». L’administration veillait toutefois à ce que les plans de départ volontaire respectent l’ensemble des dispositions du code du travail applicables au licenciement économique, à l’exception des dispositions relatives à l’application des critères d’ordre et celles applicables au plan de reclassement interne. La procédure et les explications à apporter par l’employeur étaient identiques à celles d’un plan de sauvegarde de l’emploi, quand bien même aucun licenciement n’était envisagé.

Les nouveaux textes ont introduit l’accord portant rupture conventionnelle collective dans un chapitre du code du travail distinct de celui relatif au licenciement économique. Il fait appel au volontariat des salariés et exclut « tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression d’emplois »(15). Une fois le contrat de travail rompu d’un commun accord, le salarié peut bénéficier de l’assurance chômage. Il résulte de ce dispositif que le salarié n’aura pas la possibilité de contester le motif économique de la rupture de son contrat, puisqu’à aucun moment, il n’est fait référence à la cause économique telle que définie à l’article L. 1233-3 du code du travail. Ce volontariat doit être organisé dans le cadre d’un accord d’entreprise qui précise, en particulier, les fonctions concernées, les échéances envisagées, les critères de départage entre les candidats au départ et les mesures de reclassement externe qui leur seront proposées. L’accord doit également préciser les modalités de calcul des indemnités de rupture. Il s’agit, en réalité, de déterminer avec les représentants du personnel, dans le cadre d’un accord dorénavant majoritaire, une vision partagée de l’avenir de l’entreprise et une politique portant sur le volume des effectifs et la nature des compétences nécessaires. L’efficience d’une organisation tient aussi à la qualité des relations professionnelles qui déterminent l’engagement de chacun.

La rupture conventionnelle individuelle pourrait être le complément de la rupture conventionnelle collective dans le cadre d’une politique s’intéressant à la qualité de la relation professionnelle.

La rupture conventionnelle individuelle en complément de la rupture conventionnelle collective

Cette approche existe dans certaines entreprises. Les ruptures conventionnelles individuelles sont conclues avec les salariés avant que les relations professionnelles ne se dégradent, voire dans le cadre de relations professionnelles donnant entièrement satisfaction. Cette convention apparaît alors comme un accompagnement du salarié qui ressent le besoin de faire une pause ou de celui qui ne trouve pas dans les perspectives de l’entreprise une réponse à ses attentes. La négociation ne s’équilibre pas autour du pouvoir de nuisance, mais autour de la contribution passée du salarié, des conditions de son remplacement, d’une juste mesure pour ne pas susciter d’autres vocations au départ. La négociation est responsable.

Cet accompagnement suppose aussi que le salarié ne quitte pas l’entreprise pour prendre immédiatement un autre emploi. Ce serait une tromperie à laquelle poussent malheureusement les dispositions actuelles de l’allocation chômage. Les textes prévoient, en effet, que le bénéfice de cette allocation est, par principe, réservé aux travailleurs involontairement privés d’emploi en cas de : licenciement quel qu’en soit le motif, fin de contrat de travail à durée déterminée, fin de contrat d’intérim, rupture anticipée d’un CDD ou d’un contrat de mission à l’initiative de l’employeur, rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur pour motif économique, rupture conventionnelle du contrat de travail(16). Pour remplir cette condition, le salarié doit ne pas avoir démissionné de son dernier emploi, ou des emplois précédents, dès lors qu’il ne peut justifier 65 jours ou 455heures travaillées depuis son dernier départ volontaire(17).

Il en résulte qu’une rupture de période d’essai ou un licenciement dans les 65 premiers jours d’un emploi qui suit une démission n’ouvrent pas droit à allocation. Cette disposition est à l’origine de nombreuses fausses ruptures conventionnelles dont la négociation est engagée par le salarié alors qu’il a déjà identifié son nouvel emploi. Il s’agit pour le salarié de se protéger d’un risque d’inactivité sans ressources et, pourquoi pas, de tenter d’obtenir « un maximum », à l’occasion de son départ.

Espérons que les discussions en cours sur le régime d’allocation chômage suite à une démission apportent une solution à cette difficulté. Il n’y aura alors plus de contraintes juridiques, directes ou indirectes, s’opposant à la mise en œuvre dans les entreprises d’une politique constructive en matière de rupture conventionnelle, unilatérale ou partagée avec les représentants du personnel. Sans nier le déséquilibre propre au contrat de travail, le salarié et l’employeur de bonne foi pourront instaurer, développer et rompre les relations de travail dans un contexte de loyauté et de considération réciproque. Simultanément les comportements fautifs doivent être sanctionnés et les insuffisances professionnelles faire l’objet, en dernier ressort, d’un licenciement.

Le message ainsi adressé à la communauté de travail est cohérent avec la nécessité de l’engagement personnel de chaque salarié qui ne peut s’inscrire que dans le cadre de relations collaboratives et loyales.
Jacques Uso

15. C. trav., art. L. 1237-19
16. Art. 2 du règlement AC
17. Art. 4 e) règlement A